La Soie En Syrie

 

LA SOIE EN SYRIE: DU POINT DE VUE HISTORIQUE,

TECHNIQUE, SOCIOLOGIQUE ET SA SITUATION ACTUELLE.

 

 

Rim AL‑ATTRACHE

 

Depuis longtemps, la Syrie s'est caractérisée par la fabrication de la soie. Lorsqu'on mentionne le brocart ou le damas, vient à l'esprit directement le nom de Damas et celui de la Syrie.

 

INTRODUCTION HISTORIQUE :

 

La direction principale de la Route de la soie est l'axe partant de la terre Syrienne. La Syrie est l'État le plus actif, formant un carrefour de chemins commerciaux entre l'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud. Car, en premier lieu, Damas est l'accès principal à Hijaz, Égypte, Antioche et Alexandrette qui livrent les marchandises d'Asie aux bateaux de la Méditerranée afin de les transmettre à Gênes et à Venise... et en second lieu Palmyre, ayant ses portes Est donnant sur la Mésopotamie...

 

Auparavant, les peuples d'Extrême‑Orient monopolisaient la fabrication de la soie, et l'exportaient pour récupérer des bénéfices abondants. Puis, les autres peuples ont découvert cette matière précieuse ; alors, le commerce de la soie s'est transmis au monde gréco‑romain qui a pu le dominer directement ; puis au Moyen Âge, les Arabes ont contrôlé ce commerce, jusqu'aux guerres des Croisades aux douzième et treizième siècles.

 

À l'an 555 de notre ère, la fabrication de la soie s'est transmise au Moyen‑Orient grâce à deux moines du Mont Athos (ou grâce à des moines nestoriens).

 

Cette fabrication s'est répandue au Moyen‑Orient, en Grèce, dans la région de la mer noire, au Liban, en Syrie, en Palestine, en Iraq et en Égypte. Les Arabes s'intéressaient à la culture des mûriers et à l'élevage du ver à soie. Les ateliers de fabrication de soie se sont répandus dans beaucoup de villes arabes, et en particulier à Damas. Les Arabes ont contribué aussi à répandre la fabrication de la soie en Europe à travers l'Andalousie. Le calife omeyyade Mouaawiya bin Abi Soufyane a fondé un atelier pour tisser la soie dans son palais à Damas en l'an 665. Ces tissus étaient nommés (tissus brochés). À l'époque abbasside aussi, on a fondé des ateliers semblables à Alep et à Tyr. Les Soieries syriennes étaient vendues aux marchés européens.

 

À la fin de l'époque ayyoubide et durant la première époque mamelouk, la production de la soie était abondante et surtout la soie dorée. Durant la domination mamelouk puis ottomane, Damas était renommée pour sa production de soie ; on en tissait à Damas plus de 40 genres.

 

À l'époque moderne, la soie s'est beaucoup répandue au 17ème siècle, à l'époque de l'État Maani au Liban. Le Liban était le pionnier dans l'élevage du ver à soie. La fabrication de la soie était prospère, jusqu'au 20ème siècle ; mais la soie a subi plusieurs revers.

 

Au XVIlle siècle, le commerce de la soie a subi un grand revers, car le gouvernement ottoman lui a imposé plusieurs impôts, ainsi son marché a subi la stagnation.

 

En 1915, la Chambre Lyonnaise de Commerce a envoyé une lettre au Ministère français des Affaires étrangères, encourageant l'État français à dominer la Syrie (Syrie – Liban – Palestine…). Car la Syrie est un pays producteur de la soie et doit rester dépendante du marché de Lyon, qui importait chaque année (500 Tonnes) de soie syrienne.

 

Durant le Mandat français, dans les années trente, il y avait une crise économique mondiale, et la soie syrienne a subi une nouvelle chute, beaucoup de gens ont annoncé leur faillite, parmi lesquelles ceux qui travaillaient dans le domaine de la soie.

Quant aux raisons des revers répétés, subis par la fabrication de la soie, à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème , elles se résument par l'introduction du costume européen en Orient, par le recul du costume traditionnel fabriqué en soie naturelle ; en plus, par l'apparition des métiers mécaniques au début de ce siècle, cela a causé la baisse du nombre des métiers manuels, ainsi que la marginalisation de cet artisanat petit à petit.

 

L'ÉLEVAGE DU VER À SOIE.

 

Le ver à soie est élevé en Syrie au printemps et en automne dans les villages montagneux à l'Ouest du pays, et dans les villages qui longent le lit de l'Oronte.

 

LA FABRICATION DE LA SOIE. LA MÉTHODE TRADITIONNELLE :

 

On met les cocons dans une grande cuve contenant de l'eau bouillante ; l'homme frappe les cocons à l'aide d'un long bâton pour commencer l'opération de la filature.

 

Les bouts de brins de la soie commencent à paraître, et passant par un petit cran, ils se réunissent pour former un seul fil de soie. Le fil se dévide sur une petite bobine, et vient s'enrouler sur le tambour ou le guindre en bois, tourné par un garçon, une fille ou une femme. Ainsi, on a l'écheveau de soie.

 

Ce fil de soie est pris des brins de 45 à 60 cocons. La longueur de l'écheveau de soie, d'un bout à l'autre atteint 20 km.

 

Dans l'eau bouillante savonnée, on ajoute la solution de cendre, afin de ramollir les mauvais cocons. La solution de cendre rend la soie naturelle plus brillante. Après avoir desséché la soie sous forme de cocons, les femmes prennent le duvet des cocons pour le filer à la quenouille. Le fil est enroulé sur le dévidoir de roseau en forme d'écheveau de soie filée. Le fil de soie de cet écheveau est dévidé à l'aide d'un rouet de bois sur des canettes. Ces canettes se mettent dans les navettes pour les utiliser alors comme fils de trame. Le tissage commence sur un métier à bras à 2 ou à 4 pédales.

 

1) La dévideuse de soie :

 

Cette ouvrière pose l'écheveau de la soie sur le support qui comprend 4 roseaux verticaux supportés par une base en pierre. La dévideuse prend le bout du fil de la soie, pour dévider l'écheveau sur le dévidoir en roseaux en forme de cône : c'est un cône composé de 8 roseaux, autour d'un axe fixe servant comme support sur le sol.

 

La dévideuse tourne le cône à la main à l'aide de ce support, avec une grande habileté ainsi la soie est dévidée sur ce cône.

 

2) Le moulinier :

 

Le moulinier trempe ces écheveaux dévidés dans de l'eau froide durant 12 heures. Il les enroule ensuite sur les cônes de roseaux ; et prenant le bout du fil de deux cônes, il exécute l'espolinage sur une canette à l'aide d'un rouet de bois tourné à la main. Le fil de soie est double.

 

Le moulinier dispose les canettes sur l'appareil à mouliner, afin de tordre le fil double et le consolider.

 

3) L'ourdisseur :

 

Cent bobines de fils de soie moulinés, sont posées par terre, les fils sont liés à un châssis en bois, et passent par un peigne en métal appelé le peigne d'encroix. La moitié des fils (50 fils), passe en bas à l'ourdissoir, et l'autre moitié passe en haut à l'ourdissoir qui est composé de 4 barres en bois, tournant autour d'un axe fixe, appelé le cœur de l'ourdissoir. Les fils tournent sur les barres, d'après le mouvement de l'ourdissoir. Le tour complet de l'ourdissoir est égal à 7 mètres et 82 cm.

 

4) Le teinturier :

 

Le teinturier réalise le décreusage de la soie grège. Le décreusage consiste à tremper les écheveaux de soie grège dans l'eau savonnée bouillante additionnée de soude caustique ou d'alcali, durant deux heures ou plus. Puis, ils sont trempés dans de l'eau plate, ainsi, les fils de soie se débarrassent du grès et deviennent lisses et brillants. L'écheveau perd 25% de son poids, et brille de plus en plus. L'opération de teinture peut commencer maintenant ; cette opération est restée manuelle jusqu'à aujourd'hui pour la soie naturelle, à Damas, Homs et Alep.

 

5) L'apprêteur et le vérificateur :

 

Il prend l'écheveau des fils de soie naturelle et le plonge dans un bain d'eau froide à base d'amidon et de gomme arabique extraite des amandiers, afin de consolider les fils de chaîne.

 

Le lendemain à l'aube, c'est‑à‑dire à trois heures du matin, le vérificateur tend 60 m de fils le long du mur, en plein air, sur des râteaux, il effectue plusieurs va‑et‑vient pour étendre toute la pelote.

 

Puis, il commence l'opération de séparer les fils les uns des autres avec les doigts, pour qu'ils ne collent pas.

 

6) Le licier :

 

Cet artisan attache les fils de chaîne aux lices, liés aux quatre pédales du métier, qui soulèvent les fils de chaîne, à l'aide de la corde du tirage pour laisser la navette entrer parmi ces fils.

 

Damas, est une ville renommée pour ses soieries : le brocart, le damas, les coupons, l'aghabani (broderie de soie)... etc.

 

La fabrication du brocart est connu à Damas depuis le onzième siècle.

 

À l'époque moderne, M Antoine Mzannar (surnommé le Roi du Brocart) commençait à diffuser le tissage du Brocart à Damas. Il a été le premier à fonder en 1890 un atelier de soie à Bab Charki à l'Est de Damas.

 

Les motifs décoratifs du Brocart sont inspirés de la vie damascène quotidienne, des arabesques et de l'histoire arabe musulmane, et européenne. Exemples des motifs décoratifs : la noisette, l'amande et naame (c'est‑à‑dire une fleur minuscule) : ce sont des motifs inspirés des noisetiers, des amandiers, et des fleurs qui abondaient dans les maisons arabes, et en particulier les maisons damascènes.

 

L'Oriental ; arabesque inspirée de la Mosquée des Omeyyades à Damas : c'est un dodécagone.

 

La bataille de Saladin Al‑Ayyoubi, inspirée de l'histoire arabe musulmane.

 

L'Arche de Noé, inspirée de la mythologie.

 

Roméo et Juliette, motif inspiré du patrimoine culturel européen.

 

M. Antoine Mzannar a diffusé le motif du papillon, appelé Pop et très demandé par les touristes : il contient 7 couleurs.

 

Puis, on a le brocart au motif des oiseaux d'amour (love birds), que la Reine Elizabeth 2 a choisi pour la confection de sa robe de noce ; ensuite, les commerçants ont appelé le motif des oiseaux d'amour, le motif de la Reine Elizabeth 2.

 

Le noir et le blanc sont les couleurs les plus utilisées dans les fils de chaîne du brocart. Le rouge, le vert, puis le bleu et le beige sont utilisés dans les fils de trame. Ce sont des couleurs représentant la splendeur et la passion de la vie ardente. En plus, on utilise les fils dorés dans le brocart.

 

LA SITUATION ACTUELLE DE LA SOIE EN SYRIE :

 

Dans les années soixante du 20ème siècle, l'État syrien a interdit l'importation de la soie naturelle étrangère, et il a encouragé le paysan à élever le ver à soie et à planter les mûriers ; tout cela afin de protéger la soie syrienne. Le secteur publiC monopolisait la production des fils de soie et par conséquent la qualité des fils de soie n'était pas bien contrôlée, faute de compétition de la part du secteur privé, qui n'exerçait aucune influence sur la production.

 

À la fin des années 80 et au début des années 90, le secteur privé a commencé ses activités dans le domaine de la soie. Mais un nouveau problème apparaît après la chute de l'ex‑Union soviétique : les fils de soie étrangère de bon marché ont commencé à entrer en Syrie d'une manière illégale, venant des pays de l'ex‑Union soviétique, ce qui a abouti à la stagnation de la soie grège syrienne.

 

On peut surmonter ces problèmes en Syrie par l'encouragement de la compétition entre les secteurs public et privé afin d'améliorer la qualité de la production de la soie ; par l'encouragement des jeunes afin de travailler dans cet artisanat en leur fournissant des prêts de la banque industrielle pour fonder leurs ateliers de tissage ; par l'encouragement du tourisme, afin d'ouvrir de larges voies pour l'écoulement des marchandises artisanales, comme les soieries.

 

Cet artisanat fait partie du patrimoine culturel, qui joue un grand rôle dans la préservation de la personnalité des peuples, et dans l'affirmation de leurs identités. Combien de cultures des peuples ont péri (les Indiens d'Amérique) ou ont été dominés par des occupants ayant comme objectif d'effacer leur histoire en modifiant les traits de leur pays (occupation israélienne de la Palestine, et les changements démographiques ou autres effectués par cette occupation, spécialement à Jérusalem).

 

Mais le patrimoine culturel de ces peuples, et l'artisanat qui en forme une partie très importante, se sont opposés à ces prétentions et à ces actes de l'occupant, pour affirmer que les peuples qui ont créé cet artisanat minutieux, sont des peuples vivants, ayant une histoire solidement enracinée, et une grande civilisation, difficile à démolir ou à anéantir.

 

CONCLUSION

 

En Syrie en général, et à Damas en particulier, les noms de quelques familles sont inspirés de leur travail dans l'artisanat de la soie, comme : les familles : Al‑Fattal (moulinier) ‑ Al‑Msaddi (ourdisseur) ‑ Al‑Sabbag (teinturier) ‑ Al‑Hayek (tisseur) ‑ Al‑Milki (licier) ‑ AIKabbabé (dévideuse)... Ceci témoigne du lien entre les gens et cet artisanat, et par conséquent, ces noms indiquent les étapes de ce métier hérité de leurs ancêtres.

 

Dans le patrimoine populaire syrien, il existe des proverbes en dialectal, inspirés de l'artisanat de la soie. Exemple :

 

« Si tu veux frapper quelqu'un, frappe un prince ; si tu veux voler quelque chose, vole de la soie ; et si un jour on te blâme, ton action ‑ là méritera ce blâme ». (Proverbe dit pour celui qui veut faire une mauvaise action : il doit choisir des actions grandioses, afin que le blâme vaille la peine).

 

L'Église a interdit aux gens et en particulier aux moines de porter les soieries, car la soie naturelle symbolise la vie aisée et luxueuse ; tandis que les moines ne doivent pas porter les habits fins et légers, et cela en signe d'ascétisme et d'austérité. Ensuite au cinquième siècle, l'Église a permis aux moines de porter les soieries. En Syrie, les archevêques et les prêtres, portent durant la messe, et à l'église seulement, le brocart, beau, fin et délicat.

 

Dans l'Islam, il y a plusieurs traditions du Prophète Mohammed, interdisant aux hommes de porter la pure soie, afin qu'ils mènent une vie d'ascèse et d'austérité :

 

« Le calife Omar bin Al‑Khattab a dit : le Prophète Mohammed a dit : Ne portez pas la soierie, car celui qui la porte sur terre, ne la portera jamais au paradis. »

 

Enfin, ce qui a attiré mon attention durant les visites des ateliers de tissage, c'est que ceux qui tissent la soie ne la portent pas. Les tisseurs sont les plus pauvres parmi ceux qui travaillent dans ce domaine ; par conséquent, ils leur est impossible d'acheter les soieries chères.

 

 

        

 

Référence:

 

 

Rim M. al-Attrache, La soie en Syrie : (le Sandjak d'Alexandrette, la Syrie et le Liban), Damas (Syrie), Ministère de la culture, 1996. (in Arabic and French).

 

                                                                                                   

 

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